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 © Lettres d'ailleurs, d'ailleurs

billets d'humeur et poèmes

Par le temps, harcelé - III - Le voyage de Judith

Séquence II

Judith s’ébroue, comme étouffée par le souvenir de cet univers aquatique. Son regard se déplace vers l’angle est du labyrinthe du Cerpès dont les lignes de force, bien que maintenant un peu plus estompées, lui paraissent à l’amble de son souvenir dessiner un paysage plus solide, plus rassurant.

                Les rehauts du dessin lance sa mémoire vers leur voyage dans les collines d’Epidaure, là-même où Oedipe-roi s’en vint un jour dérouler ses fantasmes et ses ors.

                Il lui semble percevoir dans  cet espace intermédiaire entre le tableau sur le mur et le miroir opaque que forme vaguement le parquet ciré comme en un hologramme maladroit, le spectacle antique qui déjà emplit la scène vide ; terres et jeux présents au milieu des pierres dressées, érigées par les hommes, les hommes-masques, les hommes-joyaux, les hommes-symboles qui s’en venaient chanter la danse des grands démons intérieurs d’Oedipe et de Jocaste.

                Le bruissement de ses pas sur le parquet sombre lui semble prendre le rythme de ces danses implacables et délicates. Ses pieds se soulèvent au rythme chaotique de l’imaginaire musique. Du centre de son corps monte, nécessaire, l’étrange parade qui, parodiant Isadora Duncan, la lance dans un tourbillonnant ralenti de fouettés et de chassés entrecroisés dont la trame trace sur le parquet des arabesques inconnues.

           La nuit  à cet instant s’en vient, amalgamant les collines, unissant leurs différences, défaisant  - miséricordieusement semble-t-il à Judith - l’écheveau emmêlé du ciel et de la terre. Elle met fin à sa danse. Le crépuscule rend à la salle son opacité première et permet par le jeu des reflets au travers des hautes vitres de projeter l’image du labyrinthe du Cerpès au mitant du parquet qu’un curieux éclat a soudain rendu plus lisse.

               Elle se redresse, droite au milieu de la septième allée, retenue prisonnière de l’inextricable fouillis. Sa furieuse immobilité  en quelque sorte imposée par le jeu des lumières et des ombres, la terrasse un long moment.

*

***

*

- Est-elle à la Maison de France ?  me demande Sadak.  - Les déplacements de Judith sont imprévisibles. Elle est, je crois, partie vers l’aube. 

Nous avions passé la nuit précédente dans l’immense chambre du premier étage, à l’aplomb de la salle du Cerpès dont les baies vitrées donnent sur l’avenue de Sélène.  Alors même que l'on croit en avoir compris les formes et les limites, cette pièce semble avoir l’inépuisable faculté de multiplier ses recoins, de déployer à l’envie des espaces supplémentaires. Les murs visibles, vert d’eau, sont tachetés de plaques pâles qui signalent la présence passée de cadres ou d’étagères. Quelques marques ne se comprennent pas ; dessinant des volutes flous qui se rejoignent, s’entrecroisent, se fondent en auréoles, s’abstiennent puis repartent, elles décrivent en arabesques à peine visibles des spirales inachevées.

                Le sol au carrelage délavé se marque encore des taches vives et grenat de meubles maintenant retirés. Deux lits limitent le territoire des dalles. Certaines nuits, au sortir du sommeil, Judith et moi prenons place chacun sur un lit les jambes croisées confrontant nos regards dans la pénombre - à peine devinés. De retour de ses rêves aux terres imaginaires elle voit alors se déployer devant elle le long terrain des dalles quotidiennes.

Cette dernière nuit, le souvenir corrosif des vagues du Bosphore y dessina l’ajout incessant de ses lignes arythmiques.

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